mardi , 19 mars 2024
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Entretien avec M. Didier Dillard, Directeur Général d’Orange Marine:

Entretien avec M. Didier Dillard, Directeur Général d’Orange Marine:

Cet entretien (*) accordé à Lte Magazine par M. Didier Dillard, ingénieur Polytechnicien (1981), ingénieur Telecom de l’ENST de Paris et Directeur Général de Marine Orange. Nous tenons à le remercier vivement pour le temps qu’il nous a consacré en dépit de son agenda chargé.

M. Didier Dillard, ingénieur Polytechnicien (1981), ingénieur Telecom de l’ENST de Paris et Directeur Général de Marine Orange

M. Didier Dillard, ingénieur Polytechnicien (1981), ingénieur Telecom de l’ENST de Paris et Directeur Général de Marine Orange

Lte magazine: Orange Marines s’impose depuis fort longtemps comme un acteur important en matière de pose et d’entretien des câbles sous-marins. Pouvez-vous nous synthétisez, en tant que Directeur général d’Orange Marine, la mission d’Orange Marine, avant et après la pose de ces câbles sous-marins?

Didier Dillard: Avec grand plaisir. Orange Marine est une entité du groupe Orange qui, grâce à sa flotte de navires câbliers, est capable de poser et de réparer des câbles sous-marins de télécommunications partout dans le monde, sous toutes les mers et tous les océans de notre planète. Cette activité date du XIXème siècle, à l’époque il s’agissait de câbles télégraphiques et l’administration française des PTT disposait déjà de navires câbliers, en particulier ils ont beaucoup travaillé en Méditerranée. Comme vous le savez, cette administration est devenue France Télécom puis Orange, et l’activité des navires câbliers, a toujours été conservée.

A ce jour, nous disposons de six navires câbliers, dont deux navires appartenant à notre filiale italienne Elettra, ce qui fait de nous un acteur majeur dans ce domaine, car il n’y a qu’une dizaine d’entreprises qui exploitent des navires câbliers dans le monde.Quatre navires se consacrent principalement à la maintenance des câbles, deux en Méditerranée, un dans l’est-Atlantique et le dernierdans le sud-Atlantique et le sud-ouest de l’océan indien. Deux autres sont conçus pour non seulement réparer mais aussi poser des câbles partout dans le monde. Ces six navires sont tous équipés d’un robot sous-marin télécommandé capable d’inspecter, de couper et d’enfouir des câbles déjà posés et les navires de pose sont en outre équipés d’une charrue sous-marine permettant d’enfouirdes câbles simultanément à leur pose.

Par ailleurs, notre plus récent navire le Pierre de Fermat mis en service en 2014, à ce jour le navire câblier le plus moderne au monde, peut non seulement poser et réparer des câbles de télécommunications mais a été conçu pour être aussi en mesure de travailler sur des câbles sous-marins d’énergie en particulier pour relier des éoliennes en mer entre elles ou avec la terre. Un tel besoin devrait fortement augmenter avec les projets à venir de champs d’éoliennes en mer.

 Lte magazine: Aujourd’hui, plus de 430 câbles sous-marins en fibre optique assurent plus de 90% des communications internationales. Est-ce qu’on peut  affirmer que les câbles sous-marins en fibre optique, qui transportent les « impulsions électroniques » sont avec les bateaux transporteurs de« conteneurs géants », la base de l’économie mondiale ?

M. Didier Dillard: C’est effectivement une bonne image. Les câbles sous-marins sont les supports d’échanges d’informations entre les différentes régions du monde alors que les porte-conteneurs sont les supports d’échanges de biens et de marchandises. D’ailleurs quand on regarde sur une carte les principaux câbles et les principales routes maritimes, on se rend compte qu’on retrouve les mêmes liens : tout d’abord la route transatlantique et la route transpacifique entre les Etats-Unis et l’Europe d’une part, les Etats-Unis et le Japon et la Chine d’autre part, puis les liens entre l’extrême orient et l’Europe via Singapour, l’Inde, la mer Rouge puis la Méditerranée mais on assiste aussi à un fort développement de routes faisant le tour de l’Afrique via le Maroc le plus souvent ou de celles reliant l’Amérique latine à l’Afrique et l’Europe.

Les câbles sous-marins sont aussi parfois le support de liens interrégionaux entre deux villes côtières d’un même pays. En effet, il peut être parfois plus rapide, moins couteux et plus sécurisé de poser un câble sous-marin que de déployer une liaison terrestre à travers des zones montagneuses ou désertiques. Et puis il y a bien sur des liens reliant des îles entre elles ou avec le continent.

En fait c’est tout le développement de l’internet mondial qui s’est fait grâce aux câbles sous-marins. L’internet a gommé les distances et a permis au monde entier d’avoir accès à des contenus et des applications résidant sur des serveurs informatiques disséminés aux quatre coins du monde. Cela n’aurait jamais été possible sans les câbles sous-marins. Et puis ces dernières années ce sont les fameux services dans les « nuages » (le cloud) qui utilisent énormément les câbles sous-marins, les logiciels applicatifs ou les bases de données étant loin des utilisateurs, souvent dans des serveurs informatiques localisés sur un autre continent. La fibre optique et ses extraordinaires capacités en matière de transmission (on parle désormais de Térabits par secondes pour les câbles sous-marins, un million de millions de bit par seconde !) ont permis ces fabuleux développements.

Par ailleurs, le très haut débit, qu’il soit fixe ou mobile, doit permettre une connectivité de haute performance de bout en bout. Il est donc essentiel que les déploiements des réseaux de nouvelle génération, en particulier le VDSL ou le FTTH pour le fixe, la 4G et bientôt la 5G pour le mobile, s’accompagnent d’investissements garantissant une connectivité parfaite d’une région ou d’un pays. Tous les pays ayant une façade maritime ont intérêt à se doter de tels câbles en complément des liens terrestres transfrontières qu’ils peuvent avoir par ailleurs, y compris aussi pour des raisons d’indépendance nationale. Et puis, un investissement dans un câble sous-marin représente une petite fraction d’un investissement dans un nouveau réseau de boucle locale fixe ou mobile.

 Lte magazine: On constate que les opérateurs télécoms ne sont plus les seuls à investir dans les câbles sous-marins. Google, investit dans Faster, un câble sous-marin qui relie les États-Unis au Japon. En 2018, est entrée en service le câble sous-marin « Marea », de Microsoft et Facebook reliant les États-Unis à Espagne.  Que doivent faire les opérateurs télécoms face à cet appétit grandissant des géants du Net pour les câbles sous-marins ?

Didier Dillard: Effectivement, on assiste à un changement majeur ces dernières années, Google, Facebook mais aussi Amazon et Microsoft (les fameux GAFAM) investissent désormais dans des câbles sous-marins et ne se contentent plus de louer de la capacité à des opérateurs. Cela concerne d’abord les routes les plus importantes évoquées précédemment (transatlantiques, transpacifiques …).

A mon avis, cela ne doit pas empêcher les opérateurs de continuer à investir dans les câbles sous-marins car à ce stade, il s’agit d’abord pour ces géants de l’internet de relier leurs propres data centers sans se soucier des besoins en connectivité de tel ou tel pays. Et puis même si Google et Facebook représentent aujourd’hui une part très importante du trafic internet mondial, il existe heureusement énormément d’autres fournisseurs de service pour lesquels les opérateurs restent les meilleurs fournisseurs de connectivité internationale. Je pense donc que l’avenir donnera lieu à la coexistence de câbles financés par les GAFAM et de ceux financés par les opérateurs, certains câbles étant d’ailleurs cofinancés par les uns et les autres, d’autres enfin sont financés par des investisseurs privés spécialisés dans de tels projets.

Lte magazine: La coupure des connexions au niveau des câbles sous-marins est aujourd’hui vécue comme catastrophique pour n’importe quel Etat. Quels sont les moyens utilisés en amont et en aval pour éviter ces coupures et notamment de l’internet pour les pays ?

Didier Dillard: C’est vrai que des coupures de câbles sous-marins sont susceptibles de perturber fortement les télécommunications d’une région ou d’un pays. Beaucoup de précautions sont prises pour réduire les risques de coupure d’un câble sous-marin. Tout d’abord dès le choix du tracé : la pose d’un câble doit être précédée par une reconnaissance de tracé faire par un navire spécialement équipé de sonars performants permettant d’éviter des routes dangereuses pour le câble (pentes trop fortes, sols rocheux par exemple).

Par petits fonds,  il convient de rendre possible l’enfouissement du câble pour le protéger des agressions extérieures, en particulier des chaluts de certains pêcheurs qui désormais raclent les fonds marins jusqu’à 1000 mètres de profondeurs, voire au-delà.  Le choix d’un tracé avec des fonds suffisamment meubles permettant l’enfouissement du câble par une charrue sous-marine est alors essentiel.

Mais au final, il existera toujours des risques de coupure de câble et le meilleur moyen de se prémunir contre des fortes perturbations en cas de coupure est de déployer une redondance des routes en planifiant plusieurs liaisons avec des surcapacités permettant le re-routage de la totalité du trafic d’un lien en cas de défaut sur ce lien.

Lte magazine: Au Maroc comme dans les autres pays on assiste à la montée des besoins en débit afin d’améliorer la connectivité notamment internationale. Pouvez-vous nous informer des projets de câbles sous-marins destinés à améliorer cette connectivité du Maroc avec le reste du monde qui sont en cours d’étude ou de réalisation ?

Didier Dillard: Je sais que le Maroc s’est engagé dans des programmes ambitieux de montée vers le très haut débit, et c’est une très bonne chose pour les habitants et les entreprises du pays. Le Maroc dispose déjà de plusieurs liens sous-marins pour sa connectivité au reste du monde mais je peux vous dire qu’il existe plusieurs projets de nouvelles liaisons engagés par les principaux opérateurs du pays, ce qui est nécessaire pour accompagner cette montée vers le très haut débit. Je vous invite à interroger directement les opérateurs marocains pour avoir des détails sur ces projets car je ne suis pas sûr qu’ils aient fait l’objet à ce stade de communication publique.

Dans tous les cas, quel que soit l’opérateur à l’origine d’un projet, nous sommes toujours heureux de pouvoir contribuer à la réalisation de tels projets en continuant de mettre en œuvre notre savoir-faire en la matière comme nous l’avons fait depuis plus d’un siècle sur toutes les mers et océans du monde !

(*)L’entretien original a été réalisé en français.

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